SPOOKY TOWN

Seigneur Archibald Mortemius des Os (mais personne ne l’appelle comme ça, ils disent juste « le vieux machin d’en haut »). Il est le gardien autoproclamé du Grand Immeuble des Fantômes.
Son travail n’a jamais été défini, validé, ni même vraiment reconnu, mais il prend ça très au sérieux. Il garde. Il observe. Il désespère.

Grand, sec, drapé dans une cape en poussière de cave, la colonne vertébrale parfaitement droite malgré les siècles. Ses orbites vides donnent l’impression qu’il juge tout le monde (ce qui est probablement vrai). Il tient une grande chaîne fermée par un cadenas car, comme il le dit si bien, « L’ordre ne s’impose pas à l’absurde, il y glisse, lentement, comme une bougie molle dans une soupe tiède». Les fantômes ne comprenant pas, applaudissent (pour autant qu’un fantôme puisse applaudir…)

Né il y a bien longtemps dans un cimetière d’élite réservé aux aristocrates squelettiques, Archibald était autrefois un maître d’ossuaire, chargé de ranger les os en fonction de leur potentiel artistique. Il est re-mort de lassitude un mardi à 15 heures. Il habite le dernier étage de l’immeuble, un lieu sinistre, poussiéreux, silencieux… Il y tient une bibliothèque entièrement composée de livres vierges parce que, dit-il « les réponses sont au-delà de la mort, pas dans les mots » (applaudissements de fantômes qui n’ont toujours rien compris).

D’un calme olympien au départ, il a vite compris que tous les fantômes autour de lui sont profondément débiles. Il a tenté de mettre en place des règles (une fois).
Résultat : une réunion d’immeuble où les fantômes ont voté à l’unanimité l’abolition de la gravité (ça a duré 4 minutes, puis ils sont tombés dans l’escalier, un fantôme a été transformé en chaise qui a servi de siège aux autres pendant 27 ans dans l’hilarité générale.)

Depuis, il ne fait plus rien. Il regarde. Il note des choses sur un carnet sans papier. Il descend rarement au village. Il dit que c’est pour “préserver la distance symbolique de la verticalité métaphysique” (expression de profonde perplexité des fantômes qui n’ont pas entravé une broque…).

Il est le père du Roi Squelette mais personne ne le sait. Il a toujours été très dur avec lui, pensant que ça ferait de lui un vrai souverain. Peine perdue, il passe ses journées, perché au sommet de sa montagne, à regarder son fils se vautrer dans tous les trous qui passent et se ramasser la tronche dans les murs.

Le Seigneur des Os a une passion dans sa vie : les escaliers. Il les collectionne mentalement. Chaque escalier construit de travers est pour lui une tragédie personnelle. Le grand escalier entre les deux niveaux ? Il pleure un peu chaque fois qu’il le voit.

Le Seigneur des Os passe ses journées à errer dans les couloirs en ligne droite… qu’il doit refaire trois fois par jour parce que les étages bougent, les murs changent de place, et parfois une pièce entière devient une salle de ping-pong pour mouettes astrales.
Il s’est résigné.

Il écrit un “manuel de gestion d’immeuble hanté” qu’il intitule « Vers la verticalité cosmique en 12 soupirs ». Aucun éditeur ne veut de son manuscrit. Même les morts le trouvent chiant.

Ainsi continue, jour après jour, la mort de la mort du seigneur des Os et tout le monde s’en fout…